Robert Bruce Ford, homme politique municipal, maire de Toronto de 2010 à 2014 (né le 28 mai 1969 à Etobicoke, en Ontario; décédé le 22 mars 2016 à Toronto, en Ontario). Ford est un populiste dans la veine conservatrice; sa méfiance vis-à-vis des conventions et sa célébrité dans les tabloïdes en ont fait une figure unique dans la politique canadienne moderne. Il devient mondialement célèbre lorsque l’on découvre sa consommation abusive d’alcool et de drogue, notamment du crack, sur son lieu de travail.
Des rêves de football
Ford, le plus jeune de quatre enfants, est élevé dans une famille résolument conservatrice à Etobicoke en Ontario. Grâce à la réussite de Deco Labels & Tags, l’entreprise du père, Douglas Sr., la famille est très à l’aise. Ford rêve de faire carrière dans le football; toutefois, après une année à l’Université Carleton à Ottawa où il réussit à intégrer l’équipe collégiale sans peut-être même jouer un seul match, Ford abandonne ses ambitions de footballeur et travaille dans la vente chez Deco.
La famille s’engage activement en politique dans les années 90. Le père de Ford siège comme député provincial de l’Ontario de 1995 à 1999 dans les rangs du Parti progressiste-conservateur de l’Ontario alors au pouvoir sous la conduite du premier ministre Mike Harris. En 1997, Ford lui-même tente en vain de se faire élire comme conseiller municipal de Toronto dans le cadre de la nouvelle municipalité issue des fusions qui comprend, pour la première fois, la municipalité d’Etobicoke auparavant indépendante. Il se présente à nouveau en 2000 et, cette fois, il est élu. Son frère, Doug, devient conseiller municipal de Toronto en 2010.
Conseiller municipal
À compter de son élection comme conseiller municipal pour la première fois, Ford est réélu pour deux mandats supplémentaires successifs durant lesquels son conservatisme fiscal inconditionnel n’est éclipsé que par sa réputation de manque d’élégance. Il gagne des admirateurs en refusant de dépenser les fonds accordés à son bureau financés par les contribuables; simultanément, il offense de nombreux Asiatiques en les décrivant comme des « Orientaux » qui « travaillent comme des chiens ». En 2006, à l’occasion d’un débat sur le financement municipal pour la prévention du sida, il fait remarquer que ceux qui n’utilisent pas de seringue et qui ne sont pas homosexuels ne contracteront probablement jamais la maladie (il s’excusera plus tard).
Au chapitre de la vie privée, Ford, un homme marié père de deux enfants, semble se laisser aller à une consommation excessive d’alcool et de drogues illégales. En 1999, il est arrêté pour conduite en état d’ivresse alors qu’il se trouve en vacances en Floride; à cette occasion, la police trouve une petite quantité de marijuana sur lui, mais, compte tenu du fait qu’il ne conteste pas l’accusation de conduite en état d’ébriété, ne retient pas l’accusation de possession de drogue. En 2006, alors qu’il est apparemment saoul, Ford est expulsé de l’aréna Air Canada Centre après avoir insulté un couple assis à côté de lui lors d’un match de hockey des Toronto Maple Leafs.
En dépit de ses bévues publiques répétées, l’opposition intransigeante de Ford à l’impôt se renforce encore et la nouvelle politique de dépenses municipales lui vaut l’adhésion de fidèles dévoués, en particulier parmi la population de plus en plus nombreuse des Torontois immigrés appartenant aux couches populaires. En 2010, lors de l’élection municipale, il se présente avec le slogan « Assez d’argent facile! » une référence à ce qui était perçu comme une politique de dépenses massives de la précédente administration conduite par David Miller. En s’appuyant sur l’aide de stratèges chevronnés des campagnes conservatrices, Ford s’empare de la mairie avec 47 % des voix.
Maire
Sa victoire de 2010 fait ressortir les profondes divisions existant entre les habitants du centre-ville de Toronto qui sont nombreux à soutenir une politique d’investissement public dans les services municipaux et les habitants moins aisés des banlieues qui cherchent avant tout à contenir le montant des impôts locaux qui ne cessent d’augmenter. Cette division oriente le débat sur un certain nombre de questions clés comme l’extension du réseau de transport en commun vers les banlieues, Ford privilégiant le métro par rapport au système léger sur rail qu’il décrit comme étant inférieur.
En tant que maire, Ford combat le pouvoir des syndicats dans le secteur public, promeut les gels d’impôts, procède à des coupes budgétaires dans les dépenses municipales et réussit à faire adopter la privatisation d’une partie du ramassage des ordures. Il augmente également le coût pour les usagers des programmes de loisirs. Bien que les dépenses municipales aient augmenté moins vite durant son mandat, elles ont tout de même globalement continué à s’accroître au cours des trois exercices budgétaires dont il a eu la responsabilité de 2011 à 2013.
Durant cette période, ses critiques les plus virulents cherchent à le neutraliser, leurs attaques culminant en 2012 avec une affaire de conflit d’intérêts mettant en jeu l’utilisation par Ford du papier à en-tête de la Ville pour collecter des fonds au profit de sa fondation privée de football pour les jeunes, en sollicitant des dons des lobbyistes et de leurs clients. Dans cette affaire, un juge décide que Ford n’aurait pas dû participer à un débat du conseil municipal visant à déterminer s’il devait rembourser ou non un certain nombre de dons. Une telle décision aurait dû, de fait, le contraindre à la démission; toutefois, elle est invalidée en appel et il peut conserver ses fonctions.
Début 2012, des témoignages supplémentaires décrivant Ford en état d’ébriété en public se font jour. Le 17 mars, il est vu titubant lors d’une fête de la Saint-Patrick dans un bar du centre-ville. Un an plus tard, on lui demande de quitter un gala militaire en raison de son état d’ébriété apparent. Des photos de lui sur lesquelles il apparaît plus ou moins débraillé et les cheveux en bataille circulent sur les médias sociaux. Une précédente candidate à la mairie, Sarah Thomson, prétend que Ford s’est livré à des attouchements sur sa personne en proférant des insinuations obscènes durant une manifestation politique de collecte de fonds.
La vidéo du crack
Le 16 mai 2013, Ford fait la une de tous les journaux un peu partout dans le monde lorsque le site Web américain Gawker et le quotidien Toronto Star indiquent tous deux avoir été contactés pour l’achat d’une vidéo montrant le maire fumant du crack. Ford publie le démenti suivant : « Je ne fume pas de crack et je ne suis pas dépendant à ce produit. » L’information va cependant déclencher une cascade de révélations dans les mois suivants, notamment des récits sur les médias sociaux suggérant que le maire fréquente des criminels et passe du temps dans une fumerie réputée. Les utilisateurs de Twitter et de YouTube publient des photos montrant Ford éméché à l’occasion d’un festival d’été dans le quartier Danforth de Toronto.
Lors de l’Halloween, le chef de la police de la ville, Bill Blair, annonce que des policiers enquêtant sur un gang soupçonné de se livrer au trafic de drogue à Etobicoke ont trouvé une vidéo numérique « qui concorde avec ce qu’ont déjà rapporté les médias », c’est-à-dire la vidéo sur laquelle on pourrait voir Rob Ford en train de fumer du crack. La police indique également avoir arrêté l’ami et chauffeur de Ford, Alessandro « Sandro » Lisi, accusé d’extorsion en liaison avec ladite vidéo.
En outre, Ford se présente de façon impromptue devant les journalistes, admettant qu’il a effectivement consommé du crack dans le passé : « [...] probablement lors de l’un des épisodes au cours desquels j’étais ivre mort ». Il continue toutefois à refuser de démissionner et, en l’absence de mécanisme légal pour l’obliger à le faire, le conseil municipal trouve un accord pour lui retirer ses principaux pouvoirs exécutifs. Ford s’engage à cesser de boire.
Des documents de cour apparaissent également, montrant que la police a passé les derniers mois à suivre secrètement Ford et Lisi et a pu les observer alors qu’ils buvaient ensemble durant les heures de bureau et tandis que Lisi déposait des paquets à l’apparence suspecte dans la voiture de Ford. En janvier 2014, une vidéo tournée avec un téléphone intelligent, montrant un Ford ivre se répandre en injures contre le chef de la police dans un patois jamaïcain, fait son apparition.
Les réactions vis-à-vis de Ford ne sont toutefois pas toutes négatives. Sa corpulence et sa défiance vis-à-vis des conventions lui valent une cohorte d’admirateurs dans le monde entier, en faisant l’un des sujets favoris des spectacles télévisés comiques de fin de soirée. En mars 2014, Ford apparaît dans l’émission Jimmy Kimmel Live et balaye en ces termes, d’un revers de la main, les questions de son hôte américain à propos de son comportement : « Je n’ai pas été élu pour être parfait. »
La campagne municipale 2014
Deux mois plus tard, le quotidien Globe and Mail publie des saisies d’écran d’une vidéo censée avoir été prise dans la cave de sa sœur Kathy et montrant Ford tenant une pipe de crack. Cette nuit là, Ford annonce qu’il se met en congé de ses fonctions pour une durée indéfinie pour traiter ses problèmes de dépendance.
Ford demande à être hospitalisé dans un centre de réadaptation à Bala en Ontario, se mettant effectivement en congé de son poste de maire et de candidat à sa propre réélection, et ce, bien que la campagne municipale 2014 batte son plein. En dépit de ses problèmes personnels bien connus, les sondages d’opinion réalisés au printemps 2014 montrent qu’il est solidement placé en troisième position dans la course à la mairie derrière les opposants Olivia Chow et John Tory avec le soutien d’environ 20 % des électeurs ayant fait leur choix.
Fin mai, son frère Doug révèle que Ford reprendra ses fonctions de maire et la campagne municipale le 30 juin. Dans une entrevue, le 2 juillet, sur la télévision anglophone de Radio-Canada, Ford déclare qu’il a un problème de dépendance à la drogue et à l’alcool avec lequel il devra se battre pour le restant de ses jours. « Je suis né avec cette maladie et je mourrai avec elle. »
En septembre, on diagnostique à Ford un liposarcome (cancer), il se retire de la course aux élections de maire, et est remplacé par son frère Doug. Malgré le diagnostic, Ford annonce sa candidature aux élections du Conseil de Toronto dans la circonscription d’Etobicoke-Nord.
L’héritage
Certains observateurs politiques estiment que l’ascension de Ford et la persistance du soutien que lui accordent des électeurs traduisent la montée en puissance d’Internet et des médias sociaux comme moteur de la vie politique; des médias sur lesquels les problèmes de conduite personnelle et de moralité passent au second plan par rapport à la célébrité.
De nombreux analystes conviennent que Ford a fait la démonstration à Toronto de la pertinence en politique de l’adage « diviser pour mieux régner », mettant en exergue les différences entre les classes sociales et les valeurs qu’elles incarnent dans une ville qui était, dans le passé, un bastion des idées libérales. Ceux qui le soutiennent argumentent qu’en agissant ainsi, il a permis à une partie souvent ignorée de l’électorat de s’exprimer.
Ses critiques répondent toutefois qu’il a inutilement accru les divisions et que son comportement personnel répréhensible a nui à la réputation de Toronto en tant que ville paisible et cosmopolite.